jeudi 26 août 2010

Le camp

C'est le bruit de la pluie sur la tente qui m'a réveillée. Son odeur, celle de la pluie, était déjà partout. Moisie, odeur accumulée de tous ces jours humides qui ne laissaient jamais à la toile assez de répit pour qu'elle puisse sécher. Je me souviens qu'au début, j'avais aimé ça. Les petits battements irréguliers des gouttes qui venaient se précipiter sur le double-toit tendu, ce sentiment d'être abritée, mais seulement de justesse. L'impression que le monde m'entourait intimement. L'inconfort était seulement la confirmation que nous étions au plus près de la nature. Et puis au fur et à mesure, mettre des vêtements déjà humides alors que le jour commence à peine, enfiler des bottes mouillées parce qu'elle n'ont pas été bien abritées, ne lever les yeux que vers un ciel gris, glisser dans la boue, s'acharner à démarrer un feu qui prend de plus en plus difficilement chaque jour, finalement renoncer et n'avoir rien pour se chauffer au matin, tout cela suffit à faire épuiser la bonne humeur, puis la patience, puis l'envie de continuer.
   Ce n'est pas que moi. Nous traînons toutes les pieds, mornes, nous ne chantons plus et plus personne ne prie.
   Nous étions seulement parties pour un camp. Il devait durer trois semaines, et nous avions prévu de nous déplacer tous les deux ou trois jours. Nous sommes arrivées sur notre premier lieu de camp, une prairie qui s'étendait à perte de vue. Nous avons bravement monté nos tentes, creusé un trou pour le feu, un trou à eaux grasses, des feuillées. Sur ce premier lieu, nous devions rester trois jours. Au matin du quatrième jour, nos affaires repliées nous sommes parties en direction du sud, pour retrouver la route. Il devait y en avoir pour une heure, une heure et demie. Au bout de deux heures, n'ayant pas trouvé de route nous nous sommes arrêtées pour vérifier nos directions, mais notre boussole et la carte nous ont confirmé que nous marchions bien dans le bon sens. Nous étions perplexes et un peu inquiètes, mais un pique-nique nous a ragaillardies, et nous sommes reparties pleines d'allant, en nous disant que la route ne devait plus être bien loin, et que nous avions juste dû traîner un peu.
   En milieu d'après midi, nous sommes tombées sur un trou rebouché, puis un deuxième et un troisième, et de l'herbe froissée qui gardait la marque de nos tentes. Nous ne voulions pas croire que nous étions revenues au point de départ, alors nous avons inventé des différences : « Nos tentes étaient plus éloignées l'une de l'autre, le trou pour le feu était un peu plus par là, et plus large... ». Et puis j'ai trouvé dans l'herbe une fourchette, marquée d'un dessin au vernis à ongles. Je la connaissais bien cette fourchette, elle avait fait tous les camps avec moi. Je m'en étais servie la veille au soir pour manger mes pâtes. J'ai poussé un peu dans la direction où s'était trouvé le point d'eau, et bientôt je l'ai vu. Pour moi, déjà, cela ne pouvait pas être ailleurs.
   Il y a eu un débat ce soir-là. Certaines soutenaient que nous avions dû nous tromper, que nous étions revenues sur nos pas après le pique-nique. Finalement nous nous sommes toutes laissées convaincre, parce que c'était ce qu'il y avait de plus facile à faire. Nous avons décidé de camper sur place et de repartir le lendemain matin, et cette fois de ne pas nous arrêter.
   Le cinquième matin fut fébrile. Il n'y eut pas de feu, nous étions seulement pressées de nous remettre en chemin. Malgré quelques protestations, j'ai décidé de planter dans le sol une branche à laquelle j'ai noué un vieux tee-shirt. Et puis, boussole, carte, nous sommes parties.
   Un peu après midi nous avons aperçu mon drapeau de fortune. Nous étions là bêtement autour de lui à nous regarder et, je le jure, j'ai cru que nous allions toutes devenir folles. Mais la raison s'est accrochée à nous et nous avons décidé de retenter le lendemain, dans une autre direction. Cette-fois nous gagnerions une autre route, par l'ouest.
   Nous avons tenté tous les points cardinaux, nous nous sommes épuisées à nier l'évidence. Et finalement un matin aucune de nous n'a plus voulu marcher, et nous sommes restées là. Ce matin-là, la pluie a commencé à tomber. C'était il y a sept semaines, et depuis il pleut tous les jours.
   Au début, à l'aide des guitares et des histoires à raconter, nous avions fait contre mauvaise fortune bon coeur. Nos proches savaient où nous étions, et en l'absence de nouvelles quelqu'un allait bien venir nous chercher. Nous refusions de penser à l'éventualité que qui que ce fut, nous ayant trouvé, se serait retrouvé coincé avec nous. Ou à celle, pire encore, que nous nous trouvions dans une bulle en dehors du reste du monde, introuvables. Nous refusâmes simplement de penser, mais ce genre de prouesse ne dure qu'un temps. Quand nous avons épuisé tous les chants et toutes les paroles, nous nous sommes tues.
   Récemment, nous avons négligé de retendre le double-toit, et la pluie commence à infiltrer la toile de tente. Je vois les taches d'eau s'agrandir au dessus de ma tête, et il y a déjà des gouttes qui tombent sur mon sac. Peu importe. Je ne sais pas pour les autres, mais moi j'ai décidé de dormir jusqu'à ce que le soleil revienne.

1 commentaire:

  1. Coucou,

    Je reviens sur ton blog pour la première fois depuis bien longtemps, et donc je viens à peine de découvrir tes deux derniers textes... Je ne savais pas du tout quel était ton style, mais je suis impressionnée ! (Pas que j'en doutais, hein, je parle à la lauréate du concours de l'inalco, toute de même ! XD) Mais vraiment, j'aime beaucoup ton style et c'est très agréable à lire.

    Bisous !

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